Poser des limites saines : votre bouclier contre le stress
- Nicole Savioz
- 12 juin
- 11 min de lecture
Selon un consensus général, le burn-out en Suisse est principalement causé par une surcharge de travail et la pression excessive, incluant les heures supplémentaires, les objectifs irréalistes, des priorités peu claires, un faible contrôle sur les tâches et le manque de reconnaissance et de soutien. Les conflits avec les collègues ou les clients exigeants contribuent à un stress chronique. Des conditions de travail défavorables, des horaires longs et/ou irréguliers, et surtout l’accélération et l’augmentation de la communication et la connectivité constante ont aggravé la situation. A cela s’ajoutent les facteurs personnels de la vie privée et familiale.
La pression de toujours performer plus, en moins de temps, a explosé. Le monde professionnel semble pris dans une spirale de sur-communication, à l'image des réseaux sociaux. Pourtant, un échange efficace est souvent absent ; les e-mails s'accumulent, et le travail ne semble jamais prendre fin. La flexibilité est devenue un impératif. L'arrivée de l'intelligence artificielle suscite des craintes, même si elle pourrait potentiellement accélérer l'exécution des tâches, à condition qu'un humain en vérifie le contenu. L'avenir le dira… Il n'est donc pas surprenant que beaucoup d'entre nous se sentent de plus en plus stressés.
Le cadre légal en Suisse : une protection essentielle
La législation suisse offre un cadre protecteur solide : l'employeur a l'obligation légale d'assurer la sécurité et la santé de ses employés. Ce principe fondamental est inscrit dans la Loi sur le travail (LTr, article 6), la Loi sur l'assurance-accidents (LAA) et l'Ordonnance sur la prévention des accidents et des maladies professionnelles (OPA). Cela signifie que l'employeur doit prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir non seulement les accidents physiques, mais aussi les atteintes à la santé d'ordre psychique, telles que le stress chronique ou le burn-out.
Ce que VOUS pouvez faire
Vous disposez d'une réelle marge de manœuvre. Vous pouvez apprendre à poser des limites saines qui respectent votre bien-être, vos droits et vos besoins, afin d'accomplir votre travail dans des conditions adéquates. N'hésitez pas à vous adresser à votre supérieur, à communiquer de manière constructive avec vos collègues ou les Ressources Humaines (RH) si la charge de travail devient insoutenable ou si l'environnement vous pèse. Vous avez le droit d'exprimer vos préoccupations et de chercher des solutions pour améliorer votre situation. Ce n'est pas un signe de faiblesse, mais de responsabilité et de maturité professionnelle. Agir ainsi vous sera non seulement bénéfique, mais aussi pour votre employeur, qui profitera d'un collaborateur plus motivé et évitera les coûts liés aux absences prolongées. Des outils de gestion du temps et de priorisation peuvent également vous être d'une grande aide.
Mon expérience personnelle face au burn-out
J'ai personnellement traversé l'expérience douloureuse du burn-out et de la dépression. J'ai réalisé à quel point le burn-out peut s'insinuer silencieusement dans nos vies, avec des conséquences profondes. C'est un épuisement qui nous prend aux tripes, physiquement, émotionnellement et mentalement. Malgré l'application rigoureuse de techniques de gestion du temps et de priorités, et la distinction claire entre ce que je pouvais contrôler et ce qui échappait à mon contrôle, le burn-out m'a rattrapée. Je mettais même un réveil pour quitter le bureau à l'heure !
L'une des solutions que j'ai découvertes bien plus tard, et qui relève entièrement de la responsabilité personnelle, est d'apprendre à reconnaître, définir et poser des limites saines. Cette démarche est particulièrement importante pour retrouver une certaine marge de manœuvre face à la pression et au stress.
L'importance de connaître et poser nos limites
Poser des limites saines, c'est établir des "frontières" émotionnelles, mentales et physiques, les communiquer clairement et les faire respecter. Ce n'est pas un acte égoïste, mais au contraire, un acte d'auto-protection, d'amour-propre et de respect envers soi-même. Imaginez ces limites comme des balises solides autour d'une maison. Cette maison, c'est vous. Ces balises vous aident à préserver votre "maison" – votre énergie, votre temps précieux et tout ce qui est important pour votre bien-être.
Poser des limites ne vise pas en premier lieu à changer le comportement des autres, mais surtout à respecter et protéger ce qui est essentiel pour vous-même. Poser des limites, c'est dire "non" aux demandes des autres pour mieux vous dire "oui" à vous-même. Les limites personnelles sont aussi diverses que les individus. Sans ces balises, nous avons tendance à dire "oui", à en faire toujours plus, même lorsque notre charge est déjà trop lourde ou lorsque les demandes ne relèvent pas de notre domaine de responsabilité.
Les avantages concrets de poser des limites
Poser et respecter ses limites apporte de nombreux bénéfices, tant sur le plan personnel que relationnel. Cela vous renforce et vous permet de :
Définir ce qui est acceptable et inacceptable dans vos interactions et relations.
Dire "non" aux demandes qui vous dépassent, ne reflètent pas vos valeurs ou priorités, ou ne relèvent pas de votre responsabilité.
Exprimer vos besoins et vos droits, et développer votre assertivité.
Vous respecter et prendre soin de vous en priorité, tout en équilibrant vos besoins personnels et vos obligations.
Communiquer clairement ce qui vous convient et ce qui ne vous convient pas, demander du soutien ou négocier.
Reconnaître ce qui est de votre ressort ou non, et laisser aux autres les conséquences de leurs choix et responsabilités.
Vous déculpabiliser de dire "non".
Reconnaître les tentatives de manipulation par la culpabilité, la peur ou l'obligation.
Améliorer vos relations avec vous-même et les autres.
Éviter les ruminations et les frustrations.
Mieux réguler vos émotions.
Être plus en paix avec vous-même et vos choix.
Renforcer votre confiance en vous.
Préserver votre énergie et votre bien-être physique et émotionnel.
Favoriser des relations plus saines.
Respecter les limites des autres
Certaines personnes dépassent régulièrement les limites des autres. Vous en connaissez peut-être ? Elles le font par automatisme, méconnaissance, habitude, pour se protéger, ou consciemment pour se décharger de responsabilités qui leur appartiennent. Le respect des limites personnelles est une démarche réciproque.
Ce qui nous empêche de mettre des limites saines
Voici une liste des raisons, souvent inconscientes, qui nous poussent à dépasser nos limites :
Manque de conscience immédiate : Vous n'écoutez pas les signaux subtils d'inconfort de votre corps lorsqu'une demande ne vous convient pas.
Difficulté à identifier ses propres besoins et valeurs : Notre éducation et nos expériences passées ont pu nous enseigner des choses qui ne sont plus adaptées ou ne nous ont jamais convenues. Vous avez peut-être oublié ce qui est essentiel pour vous, vos valeurs et vos objectifs. Prenez le temps de clarifier vos priorités et vos valeurs.
Manque de clarté du domaine de responsabilité : Au travail comme dans la vie privée, il est utile de se demander : "Est-ce de ma responsabilité, de mon ressort ?" ou "Est-ce que je peux contrôler cela ?" Si la réponse est non, il est plus facile de prendre position. Vous n'avez pas de contrôle sur ce que font ou disent les autres, seulement sur vos pensées, paroles et actions. Que se passerait-il si vous refusiez poliment de prendre en charge des responsabilités qui incombent à d'autres ?
La "normalité" du sacrifice et le désir de plaire ("people pleasing") : Beaucoup d'entre nous ont intégré que dire "oui" est un signe de dévouement ou de compassion. Si vous voulez dire "non" mais vous vous sentez mal à l'aise, et que votre voix critique intérieure (souvent celle de nos parents ou institutions qui nous ont conditionnés) vous dit : "Mais tu ne peux pas être comme ça, tu n'es pas gentille", posez-vous les questions suivantes : "Qui vous dicte cela ? Est-ce vraiment vrai que... ? Et si vous ne le faisiez pas ? Qui d'autre peut le faire ?"
Le perfectionnisme : L'impression ou le jugement personnel de "ce n'est pas encore assez bien" ou "je dois faire mieux", "je dois faire plus". Là aussi, demandez-vous : Qui dit que ce n'est pas assez bon ? Est-ce vraiment vrai ? Ce que j'ai fait/préparé répond-il aux attentes ou aux objectifs ? Est-ce assez bien/bon ?
La peur du jugement : Vous craignez de décevoir ou d'être mal perçu(e). Si vos valeurs sont claires, il vous sera plus facile de faire un choix et de dire "non". Les jugements des autres ne vous définissent pas.
La peur du conflit : C'est un frein puissant. Un conflit n'est pas nécessairement péjoratif, sauf s'il est toxique et ne débouche jamais sur une solution gagnant-gagnant. Si vous n'avez pas appris à faire valoir votre voix lors de conflits, je recommande la Communication Non-Violente, un outil précieux pour communiquer de manière assertive sans attaquer l'autre personne, et qui permet souvent de trouver des solutions inattendues.
La culpabilité, l'obligation, ou la peur de représailles : Si vous ressentez ces émotions, prenez du recul et dites : "J'ai besoin d'y réfléchir". N'agissez pas dans l'urgence. Prenez conscience de ce qui se passe en vous et les enjeux, et prenez votre décision lorsque vous aurez plus de clarté pour faire un choix qui est bon pour vous.
La peur du rejet et de l'abandon : La crainte que dire "non" vous rende moins aimé(e) ou vous isole.
Le manque d'estime de soi et de confiance : On ne se sent pas légitime de poser ses propres règles.
Le conditionnement social et culturel : Une éducation qui nous a appris à être "gentil(le)" à tout prix, ou une culture professionnelle où il faut toujours en faire plus et être flexible.
Le "people-pleasing" : Ce n'est pas un défaut, mais souvent un mécanisme de survie appris très tôt. Lorsque l'amour ou l'approbation étaient conditionnés par notre capacité à nous adapter et à faire plaisir, nous avons intégré que notre sécurité dépend de la satisfaction des autres. Cela nous pousse, adultes, à dire "oui" alors que notre cœur dit "non".
La peur des représailles professionnelles : Dans le monde du travail, cette crainte est réelle. On a peur de nuire à sa carrière, de ne pas être promu(e), ou même de perdre son emploi si l'on refuse une tâche. Cette peur, souvent renforcée par des cultures d'entreprise exigeantes, nous pousse à accepter l'inacceptable pour ne pas être "pénalisé(e)".
Les symptômes dissimulés du mal-être : Mettez-vous la fatigue ou l'irritabilité sur le compte du quotidien, sans explorer s'il y a de la marge pour instaurer des limites saines qui vous accorderaient plus de temps et de répit ?
Poser des limites saines : des pistes concrètes
C'est un apprentissage, comme tout bon parcours en montagne, qui demande pratique et endurance. Voici quelques pistes pour commencer :
Identifiez vos priorités et vos valeurs : Prenez le temps de vous demander ce qui compte vraiment pour vous dans votre vie. Votre santé ? Votre famille ? Une passion ? Savoir ce qui est essentiel vous donnera la force de dire "non" à ce qui ne vous nourrit pas et de faire de la place pour ce qui vous nourrit.
Faites la différence entre "urgent" et "important".
Utilisez les outils de gestion du temps.
Identifiez : qui est responsable de quoi dans cette situation ?
Quelle émotions et pensées ai-je immédiatement ? (Voir la liste "Ce qui nous empêche de mettre des limites saines".)
Régulez vos émotions en les accueillant, par la méthode TIPI par exemple. (Vous mettre dans un endroit où vous n'êtes pas dérangé(e), nommer l'émotion, vous concentrer sur les sensations dans votre corps sans jugement. Observer, sans vouloir changer, laisser faire. Normalement, les émotions s'atténuent jusquà complète disparition et calme intérieur.)
Questionnez les raisonnements de votre voix critique intérieure : Est-ce que je dois vraiment ? Qui me l’impose ? Ai-je une autre possibilité ? Puis-je demander de l’aide ? Qui peut m’aider ? Suis-je responsable ? Testez la méthode "The Work" de Byron Katie qui est un outil fantastique pour remettre en question des jugements ou convictions.
Osez dire "non" : Au début, c'est le plus difficile. Mais si vous avez clarifié vos valeurs et les responsabilités, vous trouverez les réponses adéquates, tout en disant "non". Un simple "Non" est une réponse complète. Ne vous justifiez pas. Je recommande vivement le livre "The Book of No" de Susan Newman, PhD, qui offre plus de 365 manières de dire "non" et d'arrêter de vouloir arranger tout le monde.
Définissez des horaires clairs : Fixez-vous une heure pour commencer et pour finir votre journée de travail, et faites de votre mieux pour vous y tenir. Mettez un réveil pour vous rappeler de partir à l'heure. Laissez les e-mails professionnels de côté le soir et le week-end. Réduisez le nombre de notifications et choisissez une heure, par exemple à midi, pour les lire.
Protégez votre temps personnel : Ce temps est précieux pour vous, vos proches, vos loisirs, votre repos. Bloquez du temps personnel, familial/amical, loisirs, dans votre agenda comme une réunion capitale. Quel loisir pourriez-vous pratiquer ? Que pourriez-vous faire plus souvent qui vous procure de la joie ? Qui pourriez-vous rencontrer pour un repas ? Prenez le temps d'aller marcher dans la nature, ne serait-ce que 10 minutes par jour.
Intégrez la pleine conscience ou la méditation dans votre vie.
Pratiquez un loisir ou un hobby qui vous procure de la joie et de la détente : Le chant, un sport, la balade, ou ce qui vous fait plaisir – ne serait-ce qu’une heure par semaine pour commencer. Des activités comme une balade de 15 minutes peuvent plus facilement s’aménager même lors d’un agenda bien rempli.
Communiquez vos limites : Que ce soit à votre chef, vos collègues, vos amis ou votre famille, exprimez vos besoins calmement et fermement et ne vous excusez pas pour votre "Non". Ne donnez pas d'explications non plus, car cela ouvre la porte à d'interminables conversations. Si vous le pouvez et le souhaitez, proposez une alternative. La Communication Non-Violente de Marshall Rosenberg offre de précieux exemples de dialogue respectueux de soi et d'autrui.
Déconnectez-vous : Mettez vos notifications professionnelles en veille. Désactivez les notifications personnelles des médias. Offrez-vous de vraies pauses numériques pour souffler. Une balade dans la nature ou dans un parc urbain fait énormément de bien au corps et à l'esprit. Pratiquez la méditation de pleine conscience. Il existe des cours pour cela, mais vous pouvez aussi l'apprendre rapidement via des vidéos en ligne.
Respectez vos propres limites : Le plus important, c'est de vous y tenir ! Ne vous laissez pas gagner par la culpabilité, ayez de la compassion pour vous-même et persévérez.
L'équilibre entre les "devoirs" et les "plaisirs"
Gérer le stress et prévenir le burn-out, ce n'est pas seulement dire "non" ; c'est aussi savoir intégrer activement des moments de plaisir, de joie, de rire et de ressourcement. L'équilibre entre les "devoirs" (vos obligations, professionnelles ou personnelles) et les "plaisirs" (ce qui vous nourrit, vous détend, vous passionne) est fondamental pour maintenir votre énergie et votre motivation.
Trouvez ce qui vous ressource et vous procure de la joie : Qu'est-ce qui vous apporte de la joie, de l'énergie ? La nature, la musique, le sport ? Intégrez-le régulièrement dans votre vie. Commencez par une heure par semaine, c’est déjà bien. Des activités comme une balade de 15 minutes peuvent plus facilement s’aménager même lors d’un agenda bien rempli.
Planifiez vos plaisirs : Ne laissez pas la détente au hasard. Inscrivez-la dans votre agenda comme une priorité.
Accordez-vous des pauses : Même de courtes pauses durant la journée de travail réduisent la tension et améliorent la concentration. Vous pouvez pratiquer une respiration en pleine conscience par exemple.
Séparez vie pro et vie perso : Créez une vraie frontière. Votre esprit a besoin de se déconnecter complètement pour se régénérer.
Soyez souple, mais ferme : La vie est faite d'imprévus. L'équilibre peut parfois bouger, l'important est de le retrouver dès que possible, sans culpabilité.
Pouvons-nous totalement éliminer le stress ?
À moins d'être un(e) pro de la régulation émotionnelle, de s'accepter et de s'aimer entièrement tel(le) que l'on est et ce que l'on fait, avec nos défauts et nos avantages, et d'avoir une confiance inébranlable en la vie, personnellement, je ne pense pas que nous puissions totalement éliminer le stress.
La vie est faite de hauts et de bas, de jour et de nuit, de joies et de tristesses. Il s'agit à mon avis d'accepter et de s'aimer soi-même avant toute tentative de changement, d'éliminer les "je dois" et "je devrais" ainsi que les "tu dois" et "tu devrais", et de toujours faire de son mieux dans le cadre de ses limites.
Utiliser des méthodes pragmatiques de gestion du temps et des priorités, pratiquer des approches comme TIPI, la pleine conscience, la méditation, le sport, les balades dans la nature, faire de la place pour les moments de joie et de détente, cultiver des relations saines en face à face et finalement pratiquer la reconnaissance sont tous des ingrédients qui permettent de naviguer la vie avec plus de sérénité.

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